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Prenez soin de vous

Photo du rédacteur: Martine FournierMartine Fournier

Une dame dont j’ai accompagné son mari me partageait avoir en horreur cette phrase qu’elle disait toute faite, vide de sens et utilisée afin de combler les silences…   «Prenez soin de vous! Pfff… savent-ils seulement ce que cela implique?!» disait-elle. Son mari avait une maladie neuro-dégénérative.   Ce fût un parcours plus qu'ardu pour elle de s’occuper de cet homme dépéri qu’était devenu son mari. Son homme qu’elle a aimé toutes ces années et qui maintenant avait besoin de soins spécialisés.


Son homme, père de leurs enfants, dont elle devait maintenant changer la culotte, l’aider à s’alimenter et à se laver.  «Prenez soin de vous» qu’on lui disait «Il ne faudrait pas que vous vous épuisiez… » lui nommaient des intervenants, amis, famille sans pour autant savoir soutenir autrement que par ces mots qui se voulaient bienveillants.  Son homme qui était tombé maintes fois, mais que cette fois-ci n’arrivait plus à se relever.  Elle le portait littéralement à bout de bras afin que sa dignité demeure intacte. Séjours à l’hôpital, retours à la maison momentanée puis un centre d’hébergement de soins longue durée l’attendait au tournant. Son homme nécessitait maintenant trop de soins et «devait être placé.»  «Vous allez pouvoir vous reposer et prendre soin de vous» qu’on lui disait. 


La travailleuse sociale de l’hôpital avait offert une alternative d’hébergement, mais cela aurait nécessité à notre dame plus de quarante minutes de route, aller seulement et en hiver.  Cette dame, octogénaire, ayant elle-même quelques ennuis de santé, on lui demandait de passer près d’une heure trente en déplacements afin de voir son mari. «Mais au moins, vous n’aurez plus à lui prodiguer les soins… et vous aurez même du temps pour prendre soin de vous!» disait la travailleuse sociale pour couronner le tout.  La dame était en vive opposition envers cette proposition aux allures de motion adoptée sans aucune délibération.  «C’est comme ça, on s’occupe de tout et au passage, profitez-en pour prendre soin de vous.»  Lui disait le personnel de l’hospice.


Rencontre avec l’équipe multidisciplinaire du centre hospitalier qui n’était guère hospitalière, soit en disant passant. Cette réunion avait pour but d’entendre les objections de madame face à la sortie de l’hôpital de monsieur et envers le placement en CHSLD.  Les L et D dans ce cas-ci n’étaient pas pour Longue Durée, mais pour Longue Distance. Elle n’avait pas droit à une prime d’éloignement et là n’était pas la question; le temps et l’énergie perdue sur la route ne faisaient aucun sens. 

Cette dame m’a demandé d’assister avec elle à cette rencontre. Le médecin, l’infirmière, la travailleuse sociale, le physiothérapeute, madame et moi-même étions réunis pour discuter du cas de monsieur.  L’écoute des demandes et besoins de madame et son mari s’est vite converti en pression de la part des professionnels envers madame à ce qu’elle accepte la proposition de l’intervenante psychosociale. Cette offre qui tenait toujours et qui, selon eux, devait être acceptée sans plus tarder, car autrement madame pourrait perdre cette opportunité.  Elle n’a pas cédé sous la pression et a affirmé, avec conviction et tout mon appui, qu’elle refusait et demandait à ce qu’il soit hébergé plus près d’elle et même, dans un idéal, elle aurait voulu qu’il termine ses jours à la maison avec de l’aide.   Le séjour de monsieur à l’hôpital s’est vu prolongé quelque peu.  


Fort heureusement, la travailleuse sociale a trouvé une autre place moins d’une semaine plus tard où ils n’étaient pas trop éloignés l’un de l’autre.  Elle devait seulement voyager une vingtaine de minutes à l’aller pour être auprès de son mari.  


La vente de la maison et deux déménagements en même temps.  Elle quittait sa maison du quart de siècle dernier pour aller en résidence et lui, passage obligé en CHSLD.  Un pas de plus vers le corridor de la mort.  Monsieur est décédé quelques semaines après son entrée.  Madame a du déménager de nouveau les choses de son mari, donner ses vêtements, trier ses effets personnels, conserver certains objets ayant une valeur sentimentale.  


S’en est suivi l’organisation des funérailles et le règlement des papiers qui entourent un décès.  Puis, la ribambelle de sympathies que la dame a reçu.  «Prenez-soin de vous.» a retenti à quelques occasions lors de l’exposition.  Chaque fois, je la voyais tressaillir comme un mouvement de dégoût et ne voulant surtout pas que ces mots lui collent à la peau.  

« Comment on prend soin de soi?» qu’elle me demandait.  Ce qu’elle posait en fait comme questions est; Comment continuer alors que l’homme avec qui elle a passé la plus grande partie de sa vie est décédé?  Comment les gens peuvent-ils dire de telles infamies alors qu’elle n’est pas en mesure de prendre soin d’elle, car la mort, la tristesse, la fatigue prennent toute la place.   

Elle était en colère, trouvant injuste son départ de son chéri, la façon dont cela s’est déroulé et déclarant insipide toute tentative de consolation face au deuil qu’elle vivait.  


Son besoin était que sa tristesse soit entendue.  Qu’elle n’est pas à parler pour que quelqu’un comprenne qu’elle n’avait qu’une envie; pleurer toutes les larmes de son corps jusqu’à ce que cette peine soit tarie.  Elle n’avait pas envie que l’on dise que cela allait bien aller et de prendre soin d’elle maintenant.   Une oreille attentive et des moments paisibles, sans mots dits de la part de son interlocuteur, des moments où elle n’avait pas à recevoir la sympathie ou des conseils avisés.  


Cela fait maintenant plusieurs années que son mari est décédé.  Elle a de nouveau retrouvé cette vivacité et son sourire qui la caractérise.  Nous échangeons de nos nouvelles de temps à autre, heureuses de nous entendre tout simplement.


Martine Fournier

Ressource d’Aide DUO


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